Un peu d’histoire

Histoire du whisky

Sir Robert Bruce Lockhart (1887-1970) ne fut pas seulement un des plus célèbres agents secrets de Sa Majesté (en chair et en os celui-là, ses Mémoires d’un agent secret (1932) furent un best-seller mondial, donnant lieu en 1934 à une adaptation cinématographique de Mickaël Curtiz). Il fut aussi un footballeur de talent (à une époque où l’on y faisait pas carrière) et un diplomate reconnu (il est en poste à Moscou quand éclate la révolution, et sera même accusé, en 1918, d’avoir voulu assassiner Lénine !). Surtout, et c’est ce qui nous intéresse aujourd’hui, il fut un fin connaisseur du scotch whisky : son ouvrage “The whisky of Scotland in fact and story” (Putnam – Londres 1951 – il n’existe semble-t-il pas de traduction française) demeure une référence en la matière, même si, comme il l’écrit, ses qualifications pour l’écrire étaient minces, n’étant pas un expert technique. Pourtant, c’est sans doute lui qui a le mieux résumé l’aspect pour le moins nébuleux qui entoure les origines exactes de la boisson :
“The history of malt whisky lies shrouded in the mists of the Celtic dawn” : l’histoire du whisky (de malt!) reste enveloppée dans les brumes de l’aube Celtique.

L’étymologie nous enseigne que le terme whisky vient du gaélique : uisge pour l’écossais, uisce pour l’irlandais : uisge (ou uisce) beatha signifiant simplement aqua vitae, eau de vie.

La distillation, un art ancien

art de la distillation et saint patrickSi l’on s’en tient aux seules sources écrites, l’ancienneté penche pour l’Écosse : c’est en 1494 que l’on trouve mention d’une pratique de distillation sans doute déjà ancienne puisqu’un document officiel, le Scottish exchequer’s roll, rapporte que le frère John Cor a reçu (par ordre du roi !) “ 8 bolls of malt” pour fabriquer de l’eau de vie (“to make aqua vitae”). De l’autre côté de la mer d’Irlande, il faut attendre 1556 pour trouver mention d’une eau de vie fabriquée à partir de céréales. Toutefois, cela ne signifie nullement que la pratique n’existât point auparavant, les anglo-saxons n’ayant jamais eu le même attachement que nous pour le droit écrit et là, l’histoire se fond dans la légende. Pour les irlandais, la distillation aurait été importée dans leur île par le Grand Saint Patrick ! ni plus ni moins, et cela, donc, au Ve siècle.
Ce qui est certain, c’est que l’art de la distillation est très ancien, puisqu’on en trouve trace en Mésopotamie quatre siècles avant notre ère, et l’on sait par ailleurs qu’elle est très répandue en Grèce au premier siècle. Il n’y aurait donc rien de surprenant à ce que ce savoir-faire se soit maintenu, voire propagé, au sein des monastères, rare lieux tranquilles de ces âges troublés.

Ages troublés et pour cause…

Au XIIe siècle, les soldats anglais envahissent l’Irlande, et découvrent, semble-t-il, une eau de vie qu’ils ne connaissaient pas. En ces temps reculés, cette eau de vie n’a sans doute qu’un lointain rapport avec le whisky tel qu’on le connaît aujourd’hui : sa vente reste longtemps réservée aux barbiers et aux chirurgiens, et on l’utilise aussi bien comme breuvage que comme onguent. Il faudra attendre le XVIe siècle pour que l’on utilise des barriques de chêne (ayant généralement contenu du xérès, très prisé alors), qui, elles, conféreront au whisky au moins l’aspect, et peut-être le goût sous lesquels on le connaît aujourd’hui. Suivront alors des décennies de monopoles (1608, la distillerie Bushmills obtient la première licence officielle de distillation), d’interdictions, de taxes, de contrebande, de chassés-croisés entre distillateurs clandestins et agents du fisc (les excisemen) avant qu’enfin, au premier quart du XIXe siècle (c’était hier) la distillation ne soit légalisée : comme tout un chacun, le whisky entre dans l’ère industrielle !

L’entrée du whisky dans l’ère industrielle

alambic charentaisCelle-ci, comme pour bien d’autres produits, verra son lot de réussites, de crises, de récessions, de faillites, de modes également. Elle est surtout caractérisée par deux faits majeurs sur le plan technologique : l’invention de l’alambic à colonne, puis, en 1853, l’invention du blend. L’alambic à colonne est mis au point en 1830 par Aeneas Coffey, qui perfectionne un système imaginé quatre ans plus tôt par Robert Stein, distillateur écossais. Aeneas Coffey, bien que né en France, est irlandais. Il ne se lance dans l’art de la distillation qu’après une carrière dans les douanes et il sans doute bien loin de se douter que son invention va faire le bonheur… de l’Écosse ! Cet alambic à colonne, bientôt nommé coffey still, réduit en effet le coût et le temps de fabrication de l’alcool : la vapeur ascendante se condense plusieurs fois dans la colonne avant de parvenir au sommet, ce qui provoque l’équivalent d’une distillation multiple, en une seule opération, au terme de laquelle on obtient un taux d’alcool (jusqu’à 95°) qui en aurait autrement nécessité au moins trois dans un pot still (ou alambic charentais) classique. Certes, le whisky obtenu est plus léger, moins riche en saveurs et en arômes. C’est précisément sur la base de ces critères qualitatifs que les distillateurs irlandais le refuseront. Commercialement, il ne s’en remettront pas : entre 1840 et 1860, le nombre de distilleries est divisé par deux, et ce n’est qu’un début.

1853, premier blend et explosion de la production

histoire du whisky jusqu'à aujourd'huiLes écossais, eux, se sont rués sur l’invention. L’un d’eux, Andrew Usher, de la distillerie Glenlivet, met au point en 1853 le premier blend, en mélangeant des whiskies de malt et des whiskies de grain, c’est-à-dire produits à partir de céréales différentes de l’orge (blé, avoine, seigle) (voir l’article : les différents types de whiskies). C’est une révolution, qui va presque entraîner la disparition des single malts (seules quelques distilleries comme Macallan, Caol Ila ou Bowmore font de la résistance) et balayer la concurrence irlandaise : en 1890, il y a en Écosse plus de 160 distilleries (officielles) quand on n’en compte plus que trente en Irlande, et le blend représente 90 % de la production. Il faut ajouter que, dans les mêmes années, la production de notre Cognac, apprécié des classes moyennes britanniques, n’a pas résisté au phylloxéra.

Une euphorie de courte durée

Publicité des pattisonPourtant, l’euphorie ne va pas durer. Les années charnières du passage du XIXe au XXe siècle vont être difficiles. C’est l’apogée des ligues antialcooliques, et la surproduction menace. Elle éclatera avec l’affaire dite “des Pattison”. Ces deux frères n’ont pas nécessairement le goût du whisky, mais indubitablement celui du commerce et des gros bénéfices. Ils créent une marque qui porte leur nom et sont les premiers à faire du marketing à grande échelle : l’histoire a retenu qu’ils proposaient à leurs revendeurs des perroquets dressés à répéter une publicité en faveur de leur boisson ! Atteints par une boulimie de développement, ils négligent la qualité : une polémique s’ensuit, les ventes chutent, le système s’effondre, ils sont en cessation de paiement. Les quantités de stocks accumulées mettent à mal le marché, de nombreuses distilleries mettent la clef sous la porte. Il faudra attendre les années vingt pour que le scotch whisky se refasse une santé, à la faveur de la guerre civile irlandaise, qui prive la production de l’île de son principal débouché : le Royaume-Uni.

La révolution gustative du whisky

Par la suite, la seule évolution notable sera une affaire de goût, mais d’importance : au milieu des années 1970, Glenfiddich entame un travail publicitaire, qui, bien relayé par le bouche à oreille, permet à un single malt de devenir une vedette internationale. Dans la foulée, les autres single malts, presque portés disparus au début du XXe siècle, font un retour en force dans les années 1980, au point de s’imposer auprès des amateurs comme les seuls véritables whiskies. Définitivement ?

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