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Les whiskies français

Comme nous l’avons déjà écrit (“les whiskies du monde”), notre production nationale, souvent injustement méconnue, est non seulement foisonnante, mais originale, variée, et souvent de grande qualité. Dans l’hexagone aussi, nous allons le vérifier, le développement de la distillation s’est très souvent appuyé sur un savoir-faire plus ancien en matière de brasserie ou de fabrication de liqueurs.

En Bretagne

Celtitude oblige, c’est en Bretagne que naît le whisky distillé en France. Même si le “Biniou” fabriqué en Ille et Vilaine pendant les années 70 a aujourd’hui disparu, la péninsule armoricaine peut se prévaloir de l’existence de quatre distilleries (de même qu’elle compte aussi un certain nombre de brasseries, ce que les non-bretons n’imaginent pas toujours) :

* A Lannion, la distillerie Warenghem (certes, le nom de famille ne sonne pas “couleur locale”), forte d’un savoir faire séculaire (Elixir d’Armorique, Chouchenn, liqueurs diverses) produit toute une gamme de blends : Whisky Breton, Breizh Whisky, Galleg, et surtout des single malts répondant au nom d’“Armorik”, déclinés en plusieurs variétés de l’Original (40°) au Sherry Finish (40°) en passant par le Double maturation (46) et le Classic (46°). Les deux premiers vieillis en fûts de Bourbon (puis de Xérès pour le Sherry Finish), les deux autres d’abord en fûts de chênes de Bretagne, puis de Xérès. Puissants et boisés, ils méritent le détour.

* Toujours dans les Côtes d’Armor, mais cette fois-ci à Pleubian, au cœur d’un environnement qui pourrait être écossais, la distillerie Glann ar mor (Bord de mer en breton), installée dans les bâtiments d’une ferme du XVIIème siècle, produit à l’ancienne, de façon artisanale et en limitant volontairement sa capacité, deux single malts : le Glann ar mor lui-même, et le Kornog (ouest en breton), ce dernier étant tourbé. Une originalité : la distillerie vend également ses produits, notamment le Kornog, en fûts de 56 litres !

* A Plomelin, dans le Finistère, la distillerie des Menhirs, qui, à l’origine, travaillait essentiellement les pommes (cidres, pommeau, lambig et gwenaval, deux eaux-de-vie), a conçu l’idée de fabriquer du whisky à partir de la céréale bretonne par excellence : le blé noir. Cela donne un blend : l’Eddu Grey Rock, dont il existe une version “Brocéliande”, vieillie en fûts de chênes issus de la légendaire forêt ; et deux purs blé noir : l’Eddu Silver, fruité, floral, et finement boisé, et l’Eddu Gold (43°), qui n’est produit qu’à hauteur de 1400 bouteilles par an.

* Comme l’Écosse, la Bretagne a ses îles. A Belle-Isle, plus précisément au Palais, la distillerie Kaerilis propose dans des conditionnements inhabituels (20, 50 ou 100 cl) des single malts aux noms pour le moins originaux : Une étoile en mer (brut de fût, 56,8° – 11 ans), Belle-Isle en rêve (14 ans, 52°), Le grand dérangement (14 ans, 45°), Rêve d’azur (12 ans, 45°, double maturation en fûts de sherry puis de rhum), ou encore le Ster Vraz n° 9 (ster vraz signifiant grande rivière en breton, mais en l’occurrence, il s’agit d’un endroit de l’île où l’on trouve de la tourbe) whisky tourbé livré avec deux titres d’alcool différents: 44 ou 57°.

En Alsace

Deuxième région de notre production nationale, la première en nombre de distilleries (on en dénombre pas moins de six), et ce n’est pas surprenant : l’Alsace.

* Dans le Bas-Rhin, où l’on en trouve deux dans le seul village d’Uberach (non loin de Haguenau) : Bertrand, qui produit l’Uberach Single Malt, vieilli en fûts de Banyuls, et Hepp, qui propose elle le Tharcis Hepp Single Malt, vieilli quatre ans en fûts de bourbon et de sherry. Plus au sud, Obernai est le fief de la distillerie Lehmann qui, depuis le milieu du XIXème siècle, produit des eaux-de-vie et met à présent sur le marché deux single malts d’une couleur or très soutenue : l’Elsass whisky 40° , vieilli sept ans en fûts de Bordeaux blanc et l’Elsass whisky 50°, vieilli huit ans en fûts de Sauternes, qui laisse d’agréables notes de fruits secs. Toujours plus au sud, près de Sélestat, à Saint-Pierre-Bois la distillerie Meyer commercialise sous ce nom un blend et un pur malt.

* Dans le Haut-Rhin, au cœur du vignoble, deux établissements dont le savoir-faire s’est d’abord affirmé avec les eaux-de vie traditionnelles alsaciennes :
à Ribeauvillé, Gilbert Holl (qui possède également une brasserie à Riquewihr et dont la gamme des eaux-de-vie est tout simplement exceptionnelle dans sa richesse, avec, entre autres, le “cœur de choucroute”), à qui revient l’honneur d’avoir mis au point le premier whisky 100 % alsacien, le Lac’Holl, un pur malt proposé en trois variétés selon la maturation (7, 8 ou 10 ans) ; à Mittelwihr, six kilomètres plus loin, Théo Preiss nous offre quant à lui un blend composé d’orge, de blé et de maïs alsaciens, le whisky alsacien.

En Champagne

En troisième position avec deux distilleries, même si sa présence peut paraître surprenante : la Champagne.

* A Louvois, non loin de Verzy, la distillerie Guillon produit le single malt de la Montagne de Reims. Son originalité tient à la façon dont les producteurs conçoivent la maturation : la plupart du temps multiple, et surtout très diversifiée : double pour la Cuvée 46 (fûts de Bourgogne blanc puis de Maury), triple pour le Guillon n°1 (Bourgogne blanc, Sauternes, Banyuls) quinze finitions proposées pour l’esprit du malt de la Montagne de Reims, alliant les différentes maturations (fûts de Meursault, Loupiac, Champagne, Banyuls, etc…) à des nuances de goût (tourbé ou non) et de fabrication (chauffe faible, moyenne ou forte), assemblage de dix finitions encore pour la cuvée limitée Excellence, produite à seulement 100 exemplaires. Si la Cuvée 42, un malt léger et élégant, affiche un prix abordable, les cuvées plus confidentielles supposent un prix qu’il vaut sans doute mieux garder secret aussi.

* 150 km plus au sud, près de Troyes, à Saint-Mards-en-Othe, le whisky Chevailler est un pur malt artisanal vieilli d’abord en fûts d’acacia, puis de chêne neuf.

Et ailleurs

Les autres distilleries situées sur le territoire national se répartissent sur autant de régions différentes, en règle générale dans des lieux où l’on pratique depuis longtemps la distillerie et / ou la brasserie, et donc dans lesquels la fabrication du whisky a pu s’appuyer sur un savoir-faire confirmé. Du nord au sud, on trouve successivement :

* A Wambrechies, près de Lille, la distillerie Claeyssens (la photo est extraite de leur site Internet).

Produisant depuis 1887 un Genièvre renommé (dont le process de fabrication est assez voisin), il était assez logique qu’elle s’intéresse également au whisky.

La gamme se compose de plusieurs single malts sous l’appellation single malt Wambrechies : un 8 ans d’âge, mais aussi deux douze ans, vieillis respectivement en fûts de Sherry pour l’un, de Madère pour l’autre.

* En Seine Maritime, à La chapelle-Saint-Ouen, la Ferme-brasserie Northmaen, qui, comme son nom l’indique, revendique sa filiation viking, produit depuis quelques années le seul whisky normand, baptisé du nom bucolique de Thor Boyo. Il est disponible à la vente chaque année à partir du 20 décembre jusqu’en mars. Vieilli trois ans en fûts de chêne, il est désormais accompagné d’un cinq ans d’âge « brut de fût » et d’un huit ans, le Sleipnir, tous deux vieillis également en fûts de chêne.

* En Meurthe et Moselle, à Rozelieures (une petite trentaine de kilomètres au sud de Nancy), la distillerie Grallet-Dupic, qui continue à fabriquer l’eau-de-vie de mirabelle qui a fait sa réputation depuis 1890, confectionne le G. Rozelieures (G pour Grallet), seul whisky lorrain, un single malt tourbé vieilli en fûts de xérès.

* Un saut jusqu’au Jura (sans rapport avec l’île écossaise) nous amène à Bletterans (10 km au nord-ouest de Lons-le-Saunier), où la Brasserie Rouget de Lisle (l’auteur de La Marseillaise est né à Lons-le-Saunier) s’est depuis 2009 lancée dans la production de single malt vieilli dans des fûts ayant contenu des vins du Jura : vin jaune, vin de paille, macvin, etc…). On citera notamment le Rouget de Lisle Single Malt Vin de Paille (5 ans, 42°) et le Rouget de Lisle Single Cask Macvin (3 ans, 42°).

* C’est dans l’Allier, à Hérisson (quelques kilomètres au nord de Montluçon), que se situe la prochaine étape, avec la distillerie de Monsieur Balthazar, à qui l’on doit le Hedgehog (Hegdehog signifie hérisson) Straight Whisky Bourbonnais (45°), produit tout à fait original puisqu’élaboré à partir de trois céréales : maïs (65 %), orge maltée, seigle. Le whisky séjourne d’abord en fûts de chêne du crû (la forêt de Tronçais, toute proche) avant de finir sa maturation en fûts de Cognac.

* Allons vers l’ouest : à Limoges, c’est une fois encore une brasserie qui a choisi de diversifier son activité : Jean Michard a en effet sorti pour la première fois en janvier 2012 le single malt J. Michard , veilli 4 ans en fûts de Xérès et de Bourbon, légèrement tourbé (45°). Ce n’est sans doute qu’un début.

* En poursuivant toujours vers l’ouest, on ne s’étonnera pas de trouver de la fabrication de whisky à Cognac, où Organic Spirit, émanation de la maison Brunet, qui conçoit du Cognac depuis 1920, produit un whisky labellisé agriculture biologique : le Tradition Malt Bio (40°), vieilli 4 ans en fûts de chêne français.

* Un virage à 180° nous amène en Isère, à Saint Jean d’Herans, où le domaine des Hautes Glaces concocte des whiskies en tous points originaux : l’orge est cultivée (biologiquement) et maltée sur place, le single malt décliné en cinq variétés, chacune associée à un “climat”, comprenez un terroir différent, l’eau des glaciers étant utilisée pour abaisser le degré d’alcool. Le minimus est disponible dès à présent (y compris un brut de fût de 57°), le principium étant mis en vente sous forme de droit de tirage : les acheteurs pourront choisir de le laisser vieillir 5, 10, 20 ou même 30 ans au domaine ! (prévoir des héritiers).

* Retour vers l’ouest, le sud-ouest même, où, dans le Tarn, à Villeneuve sur Vere (quelques kilomètres à l’ouest de Carmaux), la distillerie Castan a pour la première fois mis en fûts en 2010 le whisky tarnais, disponible depuis avril 2013. Sont également prévus deux single malts : l’Allier et l’Américain, tous deux labellisés “agriculture biologique“, dont la commercialisation est annoncée respectivement en décembre 2013 et janvier 2014 (à 64 € la bouteille tout de même !)

* Enfin, c’est sur une île que se termine le périple : en Corse, aussi étonnant que cela puisse paraître, tant là aussi on semble bien loin du climat écossais, la brasserie Pietra s’est associée à la distillerie Mavela pour produire, sous la marque P & M, trois whiskies : un blend et un blend supérieur, ainsi qu’un single malt vieilli en fûts de chêne de la forêt de Tronçais et ayant contenu des eaux-de-vie de la distillerie, et dont le nez évoque, paraît-il, les résineux qui poussent sur l’ile de beauté.

Le doute n’est plus permis : que ce soit par le nombre de distilleries, la minutie apportée à l’élaboration, la recherche de maturations originales, grâce notamment à l’exploitation intelligente du patrimoine pré-existant et, au final, le goût et la qualité des breuvages obtenus, la France est bel et bien le deuxième pays du whisky !